Pour rappel, la Loi sur l’économie sociale établit l’appartenance d’une organisation à l’économie sociale au respect de celle-ci des principes reconnus par le milieu. En termes de gouvernance, cela se traduit par la rédaction et l’application de règles internes assurant un partage équitable du pouvoir décisionnel entre les membres (art. 3). En économie sociale, il importe que ces règles et leur mise en place soient l’aboutissement d’une négociation impliquant l’ensemble des parties prenantes de l’organisation.
Dans le cas d’une reprise collective (RC), la mise en pratique du principe de gouvernance démocratique est un aspect fondamental de la structure de l’entreprise d’économie sociale et mérite une attention particulière. Sans égard au type de reprise, le repreneur collectif fera face à des enjeux de gouvernance propres à la RC et à la forme juridique choisie pour le faire : coopérative de travailleurs, de consommateurs, de producteurs, de solidarité ou de travailleurs actionnaire ou organisation à but non lucratif (OBNL/OSBL).
Pour bien soutenir leur démarche, l’accompagnateur se doit de connaître non seulement les particularités des EÉS (lois, cadre de référence, finalité, principes, entre autres), mais aussi celles du transfert d’entreprise. Il doit mettre en place une approche d’animation et d’encadrement favorisant le partage de l’informationau plus grand nombre. De plus, il devra s’assurer de fournir les informations pertinentes selon le degré d’avancement du projet, d’orienter les repreneurs collectifs dans leur réflexion et leur fournir des outils ou les référer vers d’autres ressources spécialisées, le cas échéant. Il deviendra en quelque sorte le guide de la démarche.
Si la RC nécessite la création d’une nouvelle entité, le choix de la forme juridique aura une incidence sur les possibilités de développement, d’accès au financement, de mobilisation de parties prenantes, d’adhésion de nouveaux membres, etc.
Dans le cas d’une reprise réalisée par une EÉS existante, d’autres enjeux concernant la gouvernance sont à considérer selon qu’il s’agisse d’un rachat partiel ou complet de l’entreprise à acquérir et du type de reprise (fusion, continuation ou création d’une filiale). Conformément à la situation, la ressource d’accompagnement amènera les repreneurs collectifs à s’interroger sur les répercussions des choix possibles.
Évaluer l’équipe de repreneurs
Dans le cas où la création d’une EÉS soit nécessaire pour la reprise, une des premières actions à poser par l’accompagnateur est l’évaluation de l’équipe de repreneurs collectifs. Le but étant de connaître les forces et faiblesses de chaque membre, de faire ressortir leur complémentarité et, finalement, de planifier l’accompagnement, les outils et/ou la formation dont on aura besoin lors du processus de reprise collective et de la prise en charge du management de l’entreprise acquise. Éventuellement, cette équipe se formalisera pour devenir un comité provisoire dont nous expliquons le rôle et le mandat dans la partie « Création du comité provisoire ». Quand la reprise se fait par une EÉS existante, le pilotage se fera par l’équipe de direction ou un comité interne ad hoc.
Comme pour tout démarrage d’entreprise, on s’attend à trouver parmi les membres d’une équipe de repreneurs collectifs, des personnes connaissant le secteur d’activité de l’entreprise à acquérir (tendance du marché, concurrents, clientèle, etc.), le milieu et les principes de l’économie sociale, ainsi que les sources potentielles de financement. Des compétences managériales et entrepreneuriales sont aussi requises. Le travail de l’accompagnateur sera d’aider les repreneurs collectifs à prendre conscience de leurs forces et faiblesses et à les soutenir dans le développement des compétences nécessaires à la réussite d’un projet de reprise collective.
Le tableau suivant propose une liste de vérification des principales compétences requises, ainsi que de la composition souhaitée d’une équipe de repreneurs collectifs. La colonne « présence ressource externe » réfère à d’autres conseillers ou experts en soutien à l’équipe en sus de l’accompagnateur mandaté. Si la présence de ces ressources externes est le fait de la mobilisation de l’équipe, cela donne un bon indicateur de la capacité des membres à s’autoévaluer et à s’entourer. Il s’agit d’un élément qui pourrait s’avérer déterminant lors de l’analyse du projet par les bailleurs de fonds potentiels, comme nous le soulignons dans la section Financer la reprise.
Évaluer l’équipe et les ressources mobilisées
Création du comité provisoire
La particularité des entreprises d’économie sociale est la recherche d’équilibre entre leur double mission : économique et sociale. Lors de la création d’une nouvelle entité pour le rachat d’une entreprise, l’équipe de repreneurs a une autre double tâche à accomplir. D’une part, elle doit bâtir l’aspect associatif (constitution juridique) de la nouvelle EÉS et d’autre part, elle doit procéder à l’acquisition de l’entreprise visée (vous trouverez dans la section Processus de la RC, le détail des démarches).
Afin de piloter ce travail, l’équipe de RC devra d’abord formaliser sa démarche par la création d’un comité provisoire. Cette étape est incontournable, car elle permettra d’avoir accès aux informations financières de l’entreprise en vente, ainsi qu’aux ressources de soutien dédiées à la reprise collective, entre autres. À ce stade, l’accompagnateur fournira des modèles de déclaration d’intention et d’engagement pré constitutif et d’engagement de confidentialité aux repreneurs pour mieux les préparer.
La composition du comité provisoire est essentielle. En effet, les membres du comité provisoire seront mandatés pour évaluer, planifier et réaliser le projet d’acquisition, ainsi que pour entamer les démarches visant la création de l’EÉS qui deviendra la « propriétaire » de l’entreprise cédée. Comme nous l’avons vu, des connaissances variées sont alors nécessaires (du secteur d’activité de l’entreprise à acquérir, de l’économie sociale, des sources de financement, entre autres).
Le travail de la ressource d’accompagnement est de soutenir le comité provisoire en vue d’assurer leur réussite par le partage de ses ressources (connaissances et réseaux) et de ses outils. La plupart du temps, l’accompagnateur sera mandaté pour représenter le comité provisoire dans leurs démarches d’accès aux informations de l’entreprise à vendre, principalement au début du processus.
Le rôle des membres du comité provisoire est d’agir au nom de la future organisation (coop ou OBNL/OSBL) comme ses représentants et cela jusqu’à la constitution légale de la nouvelle entité créée pour la reprise. Ils seront les responsables de toute prise de décision, démarche, signature ou engagement visant autant la création de l’EÉS que le rachat de l’entreprise cédée.
La compréhension du rôle des membres du comité s’avère alors essentielle autant pour ceux qui en feront partie que pour les autres parties prenantes de la future EÉS. De plus, une fois l’obtention des statuts ou des lettres patentes de la nouvelle entité, ils formeront, dans la plupart du temps, le nouveau conseil d’administration (CA).
Dans la liste de tâches à réaliser par les membres du comité provisoire, on peut nommer celles liées à la constitution légale de la nouvelle entité comme le choix de la forme juridique, de la mission (ou les objets), du mode de gouvernance, des règlements de régie interne, de la mise sur pied du membrariat et de l’amorce du processus légal de demande de constitution et de convocation à l’assemblée générale d’organisation (AGO) ou de fondation (AGF) de la nouvelle entité (coopérative ou OBNL/OSBL).
L’accompagnateur recommandera la réalisation d’un plan de travail (objectifs, échéancier, responsables, etc.) définissant les grandes étapes de l’idée de projet jusqu’à la tenue de la première assemblée générale.
Afin d’aider le comité provisoire dans leur réflexion, nous proposons à l’accompagnateur quelques questions liées à la reprise collective et aux enjeux de gouvernance qu’elle soulève. Le but étant d’orienter les membres du comité provisoire dans le choix de la forme juridique la plus propice au projet, particulièrement en ce qui a trait à la mission et à la future composition de son membrariat, le cas échéant.
Enjeux de la gouvernance lors de la RC
Membrariat et conseil d’administration
On peut affirmer que la composition du membrariat d’une entreprise d’économie sociale (EÉS) est déterminée essentiellement, mais non uniquement, par les deux principes suivants : la réponse aux besoins des membres et de la collectivité, ainsi que l’aspiration à la viabilité économique.
La réponse aux besoins des membres et de la collectivité définira l’offre de biens ou de services actuelle et future de l’organisation (activité économique) et ses utilisateurs : les membres, la collectivité ou les deux . L’aspiration à la viabilité économique précisera le degré de la relation des membres (actuels et futurs) avec l’activité économique de l’organisation. Cette « relation » se reflètera particulièrement dans le pourcentage de revenus (réel ou prévu) provenant des achats faits par les membres des biens ou des services offerts par l’EÉS.
Dans le cas de la création d’une EÉS, ces deux éléments détermineront les différentes catégories des membres, ainsi que de la forme juridique. L’accompagnateur aidera les repreneurs collectifs à faire le meilleur choix.
Comme nous l’avons mentionné dans la section touchant le comité provisoire et son rôle, celui-ci prendra fin dès que l’on décide d’émettre une lettre d’intention d’achat. En effet, la lettre d’intention est conditionnelle à la création de l’EÉS, à l’obtention du financement et au dépôt d’une offre d’achat.
Le comité est alors dissous pour faire place à un conseil d’administration (CA) qui aura pour mandat de préparer les documents nécessaires à la tenue de l’assemblée générale de fondation (AGF) ou d’organisation (AGO), selon qu’il s’agisse d’un OBNL ou d’une coopérative. La plupart du temps, les membres du comité provisoire assumeront le rôle des membres fondateurs et éventuellement du futur CA, mais ce n’est pas une condition indispensable. Cela dépendra des règles internes et de la composition du membrariat de la nouvelle entité.
Règle générale, les administrateurs d’un OBNL « en l’absence d’autres dispositions à cet égard, dans l’acte constitutif ou dans les règlements (…), élisent parmi eux un président et, s’ils le jugent à propos, un président d’assemblées et un ou plusieurs vice-présidents de la compagnie; ils peuvent aussi nommer tous autres dirigeants » (art. 89, Loi sur les compagnies). Pour leur part, les dirigeants d’une coopérative « sont le président, le vice-président, le secrétaire et, le cas échéant, le trésorier, le directeur général ou gérant » (art. 112.1, Loi sur les coopératives).
Lors de cette première assemblée de constitution, les membres donneront le mandat de conclure la transaction au CA dûment élu. Il est important ici de rappeler le rôle et les responsabilités du CA. Une formation concernant la gouvernance est d’ailleurs conseillée.
Nous détaillons les différentes démarches à réaliser dans la section Processus de RC, ainsi que le soutien apporté par la ressource d’accompagnement au conseil d’administration notamment dans l’élaboration des politiques de gestion et de régie interne. En vous référant à ce chapitre et au processus lié au statut juridique de l’EÉS impliquée dans la reprise, vous pourrez plus facilement repérer les étapes liées à la gouvernance.
Cadres légaux pertinents
Réalisés à partir du tableau comparatif élaboré par le ministère de l’Économie et de l’Innovation (MÉI), les tableaux suivants donnent un aperçu général sur les différences et les particularités des sociétés par actions (SPA), les coopératives et les personnes morales à but non lucratif (OBNL/OSBL). Chaque tableau compare les cadres légaux de chaque forme juridique, le rôle et les responsabilités des membres (ou actionnaires) dans la participation à la propriété, au pouvoir, aux résultats et aux opérations, ainsi que les modalités de liquidation, le cas échéant.
Principaux éléments à retenir
Le rôle de l’accompagnateur est de guider ainsi que d’apporter des outils et des conseils opportuns, afin d’éviter aux repreneurs collectifs des démarches inutiles. Il se doit de :
- évaluer l’équipe repreneuse et ses ressources lors de la composition du comité provisoire. Miser sur une équipe diversifiée et complémentaire ayant dans son sein des membres possédant des connaissances sur le secteur d’activité de l’entreprise à reprendre et de l’économie sociale particulièrement, mais aussi de compétences en communication et en négociation.
- prendre le temps nécessaire pour la réflexion concernant les enjeux de la gouvernance et le type de reprise (création d’une EÉS ou EÉS existante). Former l’équipe repreneuse à la gouvernance et aux rôles et responsabilités des membres du CA.
- expliquer aux repreneurs les avantages et désavantages de chaque forme juridique en lien avec les objectifs poursuivis, la vision et les valeurs des membres.
- se donner un plan de travail (objectifs, échéanciers, etc.), l’adapter au besoin et faire un suivi régulier.
- référer à des experts quand nécessaire (avocats, comptables, fiscalistes, etc.), notamment lors de la prise de décision concernant la constitution du capital social de l’organisation.