Regards croisés sur un cas de reprise collective et le soutien

Dans le contexte de cette étude, un cas de reprise a été sélectionné afin d’être documenté de façon approfondie. Pour ce faire, un repreneur et quatre accompagnateurs ont été rencontrés dans le cadre d’entretiens semi-dirigés portant spécifiquement sur ce cas. L’analyse reprend les divers thèmes utilisés pour analyser la reprise collective d’une entreprise tout au long de cette étude. Un constat important émerge de l’analyse de cette étude de cas, les acteurs de soutien ont une vision relativement uniforme de plusieurs phases du processus de reprise. La phase où d’importantes divergences apparaissent est celle de la négociation et plus particulièrement le défi de la réalisation du montage financier nécessaire pour mener à bien la reprise. C’est donc cette phase qui fait l’objet d’une analyse plus approfondie dans la présente étude de cas.

Tous les acteurs rencontrés, incluant le repreneur, ont une représentation assez homogène de l’entreprise repreneuse et de son principal promoteur. En effet, tous soulignent la solidité de la démarche proposée par le promoteur, son plan d’affaires réfléchi, sa grande expérience du secteur d’activités, sa capacité à argumenter ses idées de développement, la pertinence de son expérience, la justesse des études de marché réalisées et, enfin, sa ténacité et sa résilience. Cependant, encore une fois, le choix de la reprise collective divise un peu les acteurs de soutien :

  • Les acteurs de l’économie sociale mettent aussi de l’avant le profil du repreneur, mais ajoutent la connaissance de l’économie sociale dont bénéficie le repreneur et la pertinence de ce modèle d’entreprise aux facteurs de succès
  • Les autres acteurs (l’acteur public et l’acteur financier classique local) vantent l’expérience et l’engagement du repreneur, mais indiquent aussi que l’entreprise aurait pu être reprise sous un autre modèle et statut juridique, par exemple, une société par actions

La phase du processus de reprise où des représentations différentes des enjeux, défis et pistes d’actions émergent fortement est celle de la négociation et donc du financement de la reprise. Tous ces acteurs ont, à divers degrés, joué un rôle dans ce montage et leur présence ou absence dans cette phase a un impact important sur la reprise. Pour aborder cette phase, trois tableaux d’analyse reprennent, dans un premier temps, les consensus identifiés; ensuite les éléments soulignés par plus d’un acteur, mais pas contredits par un autre et, finalement, les dissensions et désaccords entre les acteurs.

Du côté des consensus, on ne retrouve qu’un seul élément, soit la complexité du montage financier :

Tableau 4 – Consensus –financement


Acteur financier – économie socialeAccompagnateur – économie socialeActeur financier classique localReprésentant public (MRC)Repreneur
Complexité du montage financier, notamment l’enjeu de la coordination de ces acteurs en soulevant les défis suivants : qui appuie le projet en premier ? Comment peut-on partager le risque ? Et comment attacher tous ces acteurs ensemble autour d’un même projet.XXXXX
Difficile de trouver des fonds appropriés pour la reprise collective : manque de capitaux de risque, montants offerts pas assez ou trop peu importants, des taux d’intérêt élevés et des moratoires trop courts.XXXXX

Pour ce qui est des éléments soulignés par plus d’un acteur, mais pas contredits par un autre, on retrouve les éléments suivants, tous liés au montage financier :

Tableau 5 – Éléments soulignés par les acteurs – financement


Acteur financier – économie socialeAccompagnateur – économie socialeActeur financier classique localReprésentant public (MRC)Repreneur
Absence d’expertise sectorielle dans les divers écosystèmesX
X
X
Mauvaise compréhension du plan d’affaires au regard des contraintes des bailleurs de fonds, ce qui a occasionné une charge importante pour le repreneur afin de le défendreXX

X
Lenteur de la réalisation du montage financierXXX
X
Très nombreux allers-retours entre acteurs financiers mettent en péril le montage, tout en remettant en question le plan d’affaires.XX

X
Avoir beaucoup de partenaires financiers complexifie le montage alors que les délais sont courts.XXX
X
Partager le risque entre plusieurs acteurs financiers permet de boucler le montage.XXX

Conflits entre acteurs financiers créent d’importants problèmes dans le montage, notamment dans l’évaluation du projet et dans les produits financiers proposés.XX


Analyses défavorables (mais qualifiées d’injustes) des acteurs financiers en conflit et s’étant désistés ont permis de faire baisser le prix de vente.
X


Asymétrie d’informations entre les acteurs présents (repreneurs et les divers bailleurs de fonds).X



Enfin, pour ce qui est des dissensions et désaccords, de nombreux éléments émergent, ils sont présentés dans les tableaux suivants :

Tableau 6 – Dissension no 1 – rôle de la MRC



Acteur financier – économie socialeAccompagnateur en économie socialeActeur financier classique localReprésentant public (MRC)Repreneur
Affirmation 1
Appui des élus ou de la MRC et rôle important dans la reprise.
XXXX
Affirmation 2Appui bénéfique, mais tardif de l’acteur public dans les négociations et le montage financier.X



Tableau 7 – Dissension no 2 – réglementation



Acteur financier – économie socialeAccompagnateur en économie socialeActeur financier classique localReprésentant public (MRC)Repreneur
Affirmation 1
Faciliter la reprise en étant transparent pour ce qui est de la réglementation et des permis.


X
Affirmation 2Délais pour la réglementation, le zonage et les coûts associés.X



Tableau 8 – Dissension no 3 – prise de risque financière du promoteur



Acteur financier – économie socialeAccompagnateur en économie socialeActeur financier classique localReprésentant public (MRC)Repreneur
Affirmation 1
Aucun engagement financier des individus, les acteurs financiers ont besoin d’une garantie (probablement le seul acteur qui peut offrir ce type de garantie est gouvernemental).
X


Affirmation 2Investissement personnel important de la part des repreneurs, les repreneurs procèdent au rachat avant d’avoir reçu tous les fonds des acteurs financiers, les parts permettent aux parties prenantes de contribuer au financement.X



Tableau 9 – Dissension no 4 – particularités du financement d’une entreprise d’économie sociale



Acteur financier – économie socialeAccompagnateur en économie socialeActeur financier classique localReprésentant public (MRC)Repreneur
Affirmation 1
D’une région à l’autre, l’économie sociale est moins bien maîtrisée, les acteurs financiers vont proposer des produits inadéquats ou trop risqués.

X

Affirmation 2Critères de financement similaires pour SPA et EÉSX



Dans cette phase de la reprise, les acteurs rencontrés nous offrent une lecture partielle de cette étape. C’est principalement le repreneur, l’accompagnateur en économie sociale et, dans une moindre mesure, l’acteur financier en économie sociale qui abordent les enjeux de cette phase, l’acteur financier classique ne s’étant pas prononcé. Autant le repreneur que l’accompagnateur relèvent le défi qu’est le manque de ressources humaines, en effet, l’ensemble des activités de l’entreprise sont assurées par une très petite équipe de trois personnes, et malgré la ténacité du promoteur, un risque d’essoufflement est identifié par ces deux acteurs. La révision du modèle d’affaires proposée par les repreneurs permet d’aller chercher plus de revenus et malgré les risques rattachés à cette expansion de l’entreprise, tous soulignent le fait qu’emprunter cette voie a permis de solidifier l’entreprise.

Pour ce qui est de qualifier la logique dans laquelle s’inscrit ce cas de reprise, tous les acteurs ont une représentation uniforme de la reprise, en effet, ils notent tous que l’objectif premier est de conserver l’entreprise sur le territoire, surtout considérant que le départ à la retraite de l’entrepreneure pilotant cette entreprise était connu depuis des années.

3.1 Conclusion – étude de cas

L’élément principal qui émerge de cette étude de cas et des analyses effectuées par le biais des regards croisés de cinq acteurs impliqués est que la phase de la négociation, et plus spécifiquement la mise sur pied d’un montage financier complexe est l’étape la plus délicate du processus de reprise. L’arrimage entre divers types de fonds et acteurs financiers, les allers-retours incessants entre le cédant et les comités chargés d’évaluer le dossier et de proposer des solutions de financement, les accords et désaccords entre ces différents bailleurs de fonds ainsi que les importants efforts consentis par certains acteurs (principalement, le repreneur et l’acteur financier en économie sociale) marquent ce cas. En reprenant l’ensemble de ces éléments, on voit émerger une représentation relativement similaire de l’entreprise à céder (une entreprise importante pour la région, mais qui connait des difficultés financières), des repreneurs (promoteur motivé et compétent) et de l’entreprise après la reprise.

C’est donc lorsqu’il est question de la phase de négociations et plus particulièrement du montage financier qu’émergent des lectures différentes de la reprise. Ce cas et l’analyse réalisée permettent de mieux saisir cette phase délicate, comme en témoignent les représentations variées des enjeux identifiés par les participants. Ceci étant dit, deux consensus peuvent être identifiés, soit la complexité du montage financier lorsqu’il implique de nombreux acteurs subventionnaires et prêteurs ainsi que la difficulté à trouver les fonds appropriés pour boucler le montage financier de cette reprise collective.

Du côté des désaccords et dissensions, on voit surtout émerger deux tensions, une reliée au rôle des acteurs dans le processus de reprise et l’autre à la mécompréhension du financement d’un projet de reprise en économie sociale. Si le premier point est en partie dû à la posture subjective des acteurs interviewés, il permet quand même de comprendre que les perceptions des acteurs sont différentes et vont varier en fonction de leurs positions. Pour le repreneur et un des acteurs de soutien, il aurait été préférable que la MRC soit partie prenante du projet plus tôt dans le processus, alors que pour le représentant de la MRC, cette dernière s’est impliquée au moment opportun.

La seconde tension est plutôt liée aux modes possibles de reprise, d’un côté la reprise classique et de l’autre, la reprise en économie sociale. Alors que le représentant de la MRC et l’acteur financier classique affirment ne pas avoir de préférence particulière pour l’un ou l’autre des types de reprise, les acteurs en économie sociale soulignent les avantages de la reprise collective par rapport à la reprise classique. L’enjeu majeur lié à cette tension est la potentielle inadéquation des produits financiers des critères de financement des acteurs financiers classiques, leur mécompréhension des enjeux spécifiques aux entreprises d’économie sociale et surtout, les efforts importants que doivent déployer les acteurs de l’économie sociale (repreneurs, accompagnateurs et financiers) pour convaincre ou adapter les propositions faites par les acteurs financiers classiques. Considérant, de plus, l’inégalité des ressources entre les différentes régions du Québec, on perçoit, dans cet enjeu, un rôle important pour les acteurs de l’économie sociale, soit celui de ressource pivot pouvant mieux orienter les repreneurs tout en les soutenant dans les relations et négociations entre les divers acteurs financiers mobilisables dans un projet de reprise.